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Comités d’éthique: la loi du plus fort
01/04/2015
Certes, l’expérimentation animale est encadrée par la loi et soumise à autorisation par des comités d’éthique. Mais nous allons voir que ces comités ne semblent pas examiner sérieusement l’opposition scientifique à l’utilisation d’animaux « modèles » et, en définitive, ne protègent ni les animaux ni les humains.
Nous sommes heureux de vous présenter ce trimestre l’interview du professeur Marco Mamone Capria, qui a donné, au Parlement européen, une remarquable conférence dont nous vous avons parlé dans La Notice d’Antidote de décembre 2014.
Outre son argumentation contre l’utilisation d’animaux pris pour modèles biologiques de l’homme, le professeur Mamone Capria nous donne un vif éclairage sur le fonctionnement des comités d’éthique. Ces comités sont très souvent cités par les défenseurs de la recherche animale pour montrer que leur pratique est encadrée et que le bien-être animal est pris en compte. Ces chercheurs laissent supposer que les comités d’éthique pourraient interdire certaines recherches jugées inutiles ou trop douloureuses pour les animaux. Or, dans les faits, nous voyons que les chercheurs opposés à la recherche animale sont trop peu nombreux (et sans doute la plupart du temps absents) au sein des comités d’éthique. Résultat, un véritable débat ne peut avoir lieu et ces comités ne remplissent pas vraiment leur fonction.
Photo : Marco Mamone Capria est titulaire d’un doctorat de mathématiques et, depuis 1990, enseigne la géométrie, la physique mathématique, l’histoire des sciences et l’épistémologie à l’Université de Pérouse (Italie).
Pendant six ans (1997-2003), il a été membre du Comité d’éthique de son université et a organisé plusieurs conférences internationales, dont cinq dans le cadre du projet « Science et démocratie » (www.dmi.unipg.it/mamone/sci-dem), qu’il coordonne.
Depuis 2007, il est président de la Fondation Hans Ruesch pour une médecine sans vivisection (www.hansruesch.net). Le site de la Fondation présente la plupart de ses recherches sur la médecine et la méthodologie de la recherche médicale, ainsi que des vidéos de certaines de ses conférences sur l’expérimentation animale.
Il a édité plusieurs livres, dont les deux derniers livres de Hans Ruesch (La medicina smascherata [La Médecine démasquée], en 2005, et La Figlia dell’Imperatrice [La Fille de l’impératrice], en 2007). Son dernier livre, Science and the Citizen – Contemporary Issues and Controversies, [La Science et le citoyen – Questions et controverses contemporaines], publié en 2013, peut être téléchargé gratuitement (www.dmi.unipg.it/mamone/sci-dem/atti.html). Il inclut plusieurs contributions de différents auteurs critiques sur la médecine et deux chapitres qu’il signe lui-même sur l’idéologie scientiste et la corruption de la recherche biomédicale.
ENTRETIEN : le Pr Marco Mamone Capria à propos de l’expérimentation animale et des comités d’éthique
Antidote Europe (AE) : Pourriez-vous nous dire comment et pourquoi vous vous êtes impliqué dans le sujet de l’expérimentation animale ?
Marco Mamone Capria (MMC) : J’ai réalisé pour la première fois que des expériences invasives sur des animaux vivants (ce que l’on appelle communément vivisection, qu’il y ait ou non « section ») continuaient à être réalisées lorsque j’ai été élu membre du Comité d’éthique de mon université. En réalité, une demie douzaine d’années plus tôt, j’étais tombé, dans une librairie locale, sur un exemplaire du puissant essai de Hans Ruesch contre la vivisection, « Imperatice nuda » (augmenté dans la version anglaise et intitulé « Slaughter of the Innocent » [Le Massacre des innocents]), et je l’avais acheté en raison de mon intérêt pour l’histoire des sciences. Je l’ai lu et l’ai trouvé à la fois perturbant et, pour ses arguments de base, entièrement convaincant. J’ai trouvé très informative la collection de citations critiques de chercheurs et autres autorités qui parlaient d’un point de vue strictement méthodologique. Toutefois, à l’époque, j’imaginais naïvement que la vivisection devait être devenue quelque chose comme l’astrologie : une pratique pseudoscientifique résiduelle et condamnée, et certainement pas quelque chose dont je devrais me préoccuper en tant que membre de mon université. J’ai été consterné de découvrir que le secret qui entoure la vivisection est très efficace pour faire ignorer du public à quel point cette pratique est envahissante, et comment nous devrions tous nous sentir préoccupés du fait que tant de carrières académiques en médecine continuent à être bâties sur une méthodologie expérimentale qui est profondément défectueuse dans tous ses aspects : elle est cruelle, elle gaspille les ressources et elle est dangereusement trompeuse.
AE : Vous avez donné, en octobre 2014 au Parlement européen, une conférence intitulée « Protéger notre santé du commerce de la maladie » (https://www.youtube.com/watch?v=jMRXiPVVXC4). Pourriez-vous en résumer les points principaux ?
MMC : Ma conférence de trois heures au Parlement européen à Bruxelles était prévue pour donner tous les éléments majeurs de l’argumentation contre la vivisection, mais j’ai abordé spécialement deux aspects : que la vivisection est méthodologiquement incohérente et que la santé humaine a énormément souffert de la supposition que les expériences sur des animaux nous donneraient des clés importantes sur les problèmes médicaux humains. J’ai aussi attiré l’attention sur la co-existence paradoxale de contre-productivité médicale et de profits industriels. En fait, beaucoup de personnes pensent que si la vivisection était si défectueuse que nous le prétendons, les industries pharmaceutique, médicale et chimique, qui sont largement basées sur elle, ne pourraient être aussi lucratives.
Pour montrer que cette notion, à première vue raisonnable, est en fait fausse, la meilleure façon est de décrire en détail un exemple d’un désastre pharmaceutique qui a augmenté, au lieu de détruire, la prospérité économique d’une firme. Donc, j’ai présenté le désastre du Vioxx, les chiffres en jeu, et j’ai montré que même un médicament catastrophiquement mauvais comme le Vioxx aurait pu être, en fin de comptes, un succès commercial. Ceci montre que les lois du libre marché (et, en la matière, des carrières académiques) ne sont pas suffisantes pour apporter un changement dans la manière dont les médicaments sont développés et manufacturés, et dont la toxicité des substances chimiques est évaluée. Nous devons admettre que, après tout ce qui a été dit au niveau méthodologique, épistémologique et historique, une question politique est en suspens et doit être traitée à son propre niveau. Donc, j’ai été particulièrement heureux d’exposer ces faits et ces idées dans un lieu où de nouvelles lois et règlementations internationales peuvent être proposées, débattues et votées.
AE : Vous avez été membre d’un comité d’éthique de la recherche à votre université pendant six ans. Pourriez-vous décrire votre expérience ?
MMC : Le comité comptait vingt membres, incluant le président et le secrétaire. Il y avait un représentant élu dans chaque domaine de recherche (grossièrement défini), plus quatre autres personnes (représentant les associations locales professionnelles de médecins, vétérinaires, infirmiers et la cour pour les droits des patients). J’étais membre titulaire, représentant un domaine de recherche plutôt vaste (mathématiques, informatique, physique et certaines branches d’ingénierie). Comme les autres membres, je recevais les demandes d’approbation éthique et j’étais supposé exprimer mon opinion et voter pour ou contre chacune lors de la réunion suivante.
AE : En plus de vous-même, y avait-il d’autres membres du comité opposés à l’expérimentation animale ?
MMC : Non, ou du moins pas de façon constante -et particulièrement pas au moment d’enregistrer son vote ! La chose étrange, du moins du point de vue naïf que j’avais à l’époque, c’est que même ceux que l’on aurait pu imaginer être mes alliés naturels (philosophes, avocats, chercheurs en sciences humaines en général) avaient généralement peur de s’opposer aux chercheurs qui pratiquaient l’expérimentation animale – la raison en étant, comme j’ai fini par le découvrir, que la plupart de ces derniers étaient soit des professeurs de médecine soit des personnes plus ou moins en relation avec eux. Et, pour le dire franchement, vous (et votre famille) devez jouir d’une très bonne santé pour être prêt, si nécessaire, à compromettre votre relation avec des personnes dotées de compétences professionnelles si cruciales… Ajoutez à cela, en général, qu’un corporatisme mal placé rend très difficile pour un membre de l’université de contester à d’autres le droit de faire de la recherche comme ils l’entendent.
AE : Avez-vous jamais réussi à arrêter complètement une expérimentation sur des animaux avec des arguments méthodologiques ou épistémologiques ?
MMC : Il est difficile de savoir si mon opposition méthodologique, épistémologique et légale a pu éviter que certains projets soient présentés, mais je ne l’écarte pas. Ce qui est certain, c’est que j’ai forcé plusieurs personnes à y réfléchir à deux fois sur certains problèmes qu’ils n’auraient même pas souhaité examiner. Toutefois, sur pratiquement tous les projets de recherche animale, le reste du comité se braquait de telle façon qu’il m’a été presque impossible, sur les deux dernières années, de participer aux réunions sans courir le risque d’être hué ou autrement harcelé. J’ai utilisé tous les moyens légaux prévus par les règlementations universitaires pour résister mais vous pouvez faire peu de chose quand vous n’avez pas le soutien d’au moins une minorité non négligeable. Donc, quand je dis (et je l’ai dit souvent) que les comités d’éthique académiques, quelle que soit leur composition, ne sont pas un rempart contre les atteintes à la rationalité, aux principes éthiques, ou même aux lois concernant l’expérimentation animale, je parle d’après mon expérience directe, laquelle, cela vaut la peine d’être précisé, n’a pas lieu d’être considérée comme unique à mon université.
AE : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous répondre. Y a-t-il d’autres commentaires que vous souhaiteriez ajouter ?
MMC : Je voudrais conseiller à vos lecteurs de ne pas laisser l’expérimentation animale à des experts auto-proclamés en sciences ou en bioéthique et de s’impliquer personnellement, en particulier en s’informant et en diffusant l’information, et en écrivant à leurs représentants politiques pour s’assurer qu’ils sont au courant de ce qui est en réalité en jeu. Beaucoup de personnes craignent que leur formation scientifique soit inadéquate pour débattre de problèmes méthodologiques avec les chercheurs, et se sentent plus sûres quand elles dénoncent des problèmes purement éthiques. Il est important de comprendre pourquoi ceci est faux et que des individus et des associations qui soutiennent cette approche étroite induisent en erreur beaucoup d’activistes bien intentionnés.
Tout d’abord, il n’y a pas un côté « purement éthique » à un problème complexe impliquant des intérêts et des attentes contradictoires de plusieurs groupes de professionnels, industriels et citoyens ordinaires. Ensuite, des sentiments moraux spontanés -comme l’indignation naturelle face au mauvais traitement des animaux de laboratoire- sont très facilement manipulés dans un débat public -par exemple, en montrant une image d’un enfant très malade et en avançant la promesse (banale, vide et tant de fois trahie) que des expériences sur des animaux vont sauver sa vie. Il est important de comprendre que dans ces cas, la confiance est trompée, et des informations et arguments factuels sont essentiels pour déjouer le piège. Beaucoup d’autorités scientifiques et médicales peuvent être citées pour contrecarrer la propagande vivisectionniste et, plus souvent qu’on ne croit, il n’est pas nécessaire d’être un scientifique (et encore moins un vivisecteur) pour comprendre et exploiter pleinement ce qu’elles ont dit.
[Source: antidote-europe.org]